L’autre jour, j’ai oublié l’anniversaire d’une amie très chère. Il était passé 10 jours plus tôt. Je n’avais rien envoyé. Pas un message. Pas un emoji. Même pas un “🥳” automatique.
J’ai regardé l’heure, puis mes chaussures, puis l’écran de mon téléphone, comme si l’un des trois allait m’absoudre. Et là, entre deux pensées floues, j’ai senti ce pincement familier. Celui du "je voulais, mais je n’ai pas fait."
Et cette phrase a traversé ma tête, comme une vérité pas très douce :
Je suis une mauvaise amie.
Pas par malveillance. Pas par désintérêt. Plutôt par flou intérieur. Par surcharge invisible. Par fatigue d’exister.
Je suis celle qui lit un message et répond mentalement. Puis l’oublie. Celle qui dit : "On se voit vite !" sans jamais fixer de date. Celle qui garde précieusement l’idée d’un apéro à la maison sans jamais oser appuyer sur "envoyer".
Je suis celle qui aime fort mais mal. Celle qui veut bien faire mais qui s’épuise à vouloir tout faire bien.
Je crois que j’ai intégré qu’être une "bonne amie", c’était être parfaite. Et comme je ne le suis pas, je m’efface. Je disparais. Je laisse passer le temps en espérant qu’on ne m’en veuille pas trop.
Mais le temps passe. Et moi avec lui.
Je pense souvent à mes amies. À leurs voix, à leurs rires, à leurs visages. Je pense à elles quand je vois un pull qui leur irait, ou un mug avec un chat trop moche pour ne pas leur faire penser à moi. Je pense à elles quand je suis triste, et que je n’ai pas envie d’expliquer pourquoi.
Je suis une mauvaise amie… et pourtant, je les aime tellement.
Je serais là, à 2h du matin, si elles avaient besoin. Je garderais leurs secrets, même sous la torture. Je les défendrais sans hésiter, même quand elles ont tort.
Je suis une mauvaise amie, mais d’une loyauté maladroite. Une amie bancale, mais sincère. Une amie qui revient toujours, même après des silences trop longs.
Je me demande souvent ce que l’amitié devient, avec l’âge. Quand on ne partage plus une cour de récré, un studio de 18m² ou une fac bondée.
Quand nos vies prennent des directions différentes, quand nos matins n’ont plus les mêmes horaires et que nos soirées ne s’alignent plus.
Et aussi... quand on réalise que l’image qu’on s’était faite de l’amitié venait, en grande partie, de la télé.
De ces séries comme Sex and the City où les filles se retrouvent systématiquement pour bruncher, où tout le monde a du temps, des anecdotes croustillantes et une tenue parfaitement assortie à son mood du jour.
Je croyais que l’amitié adulte, c’était ça. Des cafés impromptus, des discussions profondes au coin d’un bar, des anniversaires surprise avec des ballons dorés.
La réalité ? C’est que je n’arrive même pas à répondre à un texto. C’est que nos agendas ne s’alignent jamais. C’est qu’on passe plus de temps à dire "il faut qu’on se voie" qu’à vraiment se voir. Et ça me fait me sentir nulle. Comme si j’étais passée à côté d’un mode d’emploi.
Il m’arrive de tomber sur de vieilles photos. Des groupes d’amies, des week-ends, des anniversaires. Et je me demande : Qu’est-ce qui nous a séparées ? Était-ce la distance ? Le temps ? Ou simplement, la vie ?
Parfois, on s’éloigne sans le vouloir. Pas parce qu’on ne s’aime plus, mais parce qu’on ne sait plus comment faire. Parce qu’on n’a pas appris à être amis dans l’adulte.
On sait être amis dans la spontanéité. Dans l’instantané. Dans l’éclat de rire. Mais être amis dans la durée, dans les silences, dans les décalages… C’est autre chose.
Alors parfois, je rêve à une amitié lente. Une amitié qui pardonne les absences. Qui ne mesure pas l’amour à la fréquence des messages. Une amitié qui comprend que parfois, aimer, c’est juste penser fort à quelqu’un en espérant qu’il aille bien.
J’aimerais dire que je vais changer. Que je vais mieux gérer. Répondre plus vite. Appeler plus souvent… Mais je ne suis pas sûre.
Parce que la vérité, c’est que je me débats déjà avec mon propre chaos. Et que parfois, j’ai juste besoin d’une amie qui comprend ça. Qui sait que si je me tais, ce n’est pas parce que je ne tiens pas à elle. Mais parce que je ne tiens plus très bien debout moi-même.
Et si l’amitié, c’était aussi ça ? Savoir qu’on est là, même quand on ne le dit pas. Même quand on n’est pas la meilleure version de soi-même.
Je suis une mauvaise amie. Mais je suis une amie vraie.
Et si tu lis ces lignes, c’est peut-être qu’on est plusieurs à se débattre avec ce sentiment flou d’aimer sans réussir à le montrer.
Alors écrivons-nous, même après trois mois de silence. Réapprenons à nous dire "tu me manques", sans gêne ni agenda. Et laissons l’amitié exister autrement : sans performance, sans pression, sans perfection.
À nos amitiés incomplètes, mais vraies. À nos liens étirés, mais tenaces.
Safia